R … LE BADEN
POWELL –IV-
L’odyssée de R … ne s’arrête pas là. Il
évoquera quelquefois avec ses amis de beuverie ses belles randonnées pédestres
qu’il eut à parcourir longuement à travers les vieilles montagnes ensoleillées
de la Chiffa et les vertes prairies de Mouzaïa, ex Germain,
de Saoula, de Castiglione, en compagnie du personnel de la Maison
Bata, du journal Le Figaro, et des grandes maisons de vins. Une
belle romance qui remonte vers la fin des années 30 et qu’il n’est pas prêt
d’oublier, dira t’il à ses amis. C’est la naissance des premiers congés payés
et R … fut l’un des tout premiers musulmans à rallier le mouvement des
vacanciers et à succomber au charme du bivouac et des auberges de campagne.
Sollicité par les pionniers du social à l’époque, R … fut tout content
d’offrir ses bonnes œuvres d’éclaireur à la manière d’un parfait anglo-saxon.
Et c’est à lui que revient l’honneur de fixer le choix du terrain, de dresser
les tentes, de veiller à l’approvisionnement des vivres conservés dans de
petits voitures-fourgons frigorifiques, d’accompagner la préposée aux postes
pour l’envoi de cartes-postales, d’assister l’infirmière dans les premiers
soins, d’allumer et d’éteindre le moment venu le feu du bûcher et surtout d’y
veiller la nuit tombée aux incursions afin d’empêcher le "loup" de
quitter sa tanière et de s’introduire dans la bergerie.
BERGERIE :
C’est dire que ceux qui s’entendent parfaitement le jour, se recherchent
mutuellement le soir pour se retrouver souvent sous une même tente ou un même
logis, la nuit tombée. Et R … est
là pour veiller et maintenir la cohésion du groupe dira t-il. Comme pour
plaisanter, ses vieux amis lui lançaient cette vieille boutade. « Le
loup, c’est toi R … et c’est toi qu’il faut craindre ». Cette fois,
R… n’arrête pas de glousser, et de dire, "c’est faux, c’est
faux".
R … L’ANGE VAGABOND –V-
R… se rendait
souvent à la forêt Messoussi pour y poser des pièges à lapins, à grives,
pour y cultiver sa passion d’artisan vannier, pour se remémorer ces belles
journées de pique-niques passées en compagnie de ses meilleurs amis, mais
surtout pour se rafraîchir cette vieille mémoire qu’il n’aimerait pas lâcher
pour tout l’or du monde. Histoire de se voir replonger dans le bon vieux temps.
Ce jour-là, il s’en allait joyeusement en sifflotant, une musette jetée sur
l’épaule, une bouteille de rouge – vieille amie de toujours et des beaux jours
– dissimulée quelque part … Allez savoir où ? Une rame de roseaux sous le
bras et quelques brindilles de figuiers ramassées, par-ci, par-là, feront comme
toujours l’affaire. Il aimait s’entourer de ce vieil arsenal qu’il découpait au
coutelas, entrelaçait et tressait à la main pour y confectionner des paniers*
en osier, à pains, à brioches, et des corbeilles à fleurs. De petites
merveilles qui seront exposées et revendues au marché Les Halles de Belcourt
et qui iront faire le bonheur des ménages. Il s’asseyait au-dessus de cette
monticule de terre, à quelques pas plus haut de l’hôpital psychiatrique Drid
Hocine, pour y voir le bris des vagues des Sablettes qui iront se
fracasser sur les rochers et l’arracher à ses rêves, et à son passé de grand
maitre. Tard le soir, à sa descente des bois, il nous remettait souvent, à nous
autres bambins, de petites tranches de biscottes, de biscuits, de pain d’épices
et de légères barres de chocolats, menus fretins d’un petit repas, à
demi-consommé. Quelquefois, il tirait sur le cordon de la musette, exhibant ses
gros bras velus et ses mains rugueuses pour nous montrer le petit trophée de la
journée. On y voyait un ou deux lièvres, parfois une caille ou une perdrix
étalées de tout leur long, raides morts. Un gros gibier, dont il en fera un
véritable régal entre amis, le soir venu.
R … LE TOMBEUR
DE CES DAMES –VI-
Elles
furent nombreuses ces dames, à solliciter en ces jours de repos, ses services
de travaux d’entretien, de jardinage, de peinture, de bricolage, de
lampisterie, de fumisterie, et de ramonage ... qu’il exécutait avec soins et
amour. Aussitôt terminés, on l’invitait à chaque fois à prendre un thé, un café
ou un léger apéritif. Une meilleure façon de le remettre sur les rails auquelle
il ne pouvait y échapper. C'est aussi une sacrée combine qui permettra à ses
hôtes féminins d’y bavarder et de le fixer droit dans les yeux. Cette fois, il
ne vous dira jamais, lui qui a un faible pour les nanas de La Régie, du
Mont-Fleury, du Chemin Vauban, de La Cité … comment il a réussi à
épingler M... , L… et tant d’autres … elles étaient consentantes, tout de
même, avoue t’il à ses amis. « Non ! Non ! C’est trop
intime » dira t’il aux plus jeunes. « Ça, c’est fait pour les
grands » lança t’il à ces polissons avec un sourire qui en dit long.
Et c’est dans ce beau quartier du Mont-Fleury qu’il « prendra son
pied » et qu’il y laissera planer sa patte de velours, auprès de celles
qui le lui rendaient si bien, disait-on. Cette fois, il souriait lorsqu'il
évoquait entre amis le tour de "l’escabeau*", ou celui de
la "queue leu leu**" ou encore celui du "train-train*".
Des
noms bien originaux, dont lui seul connaît le secret.
* ** *:
« Une connotation saine et pure enveloppe ces termes qui sont loin
d’être immoraux. »
R … L’ANGE-GARDIEN –VII-
En 1968, lorsqu’il
s’était rendu à Marseille, c’était pour revoir ses amis, mais surtout
pour vomir le purgatoire. On venait le voir de « partout » pour
l’entendre égrener la suite d’un récit brutalement interrompu. « Mais,
ce n’est pas possible, c’est toi R… Que tu as changé ! Tu es toujours
aussi grand et aussi fort », lui disait-on. On l’invitait chez soi. On
prenait soin d’écouter parler, l’oreille tendue et les yeux rieurs, celui qu’on
avait laissé ici pour protéger et veiller sur les plates-bandes encore fraîches
de chacun. Ce jour-là, R …s’était libéré de cette dure étreinte qui l’étouffait
et auquelle il ne pouvait y résister. R… souriait, blaguait, s’esclaffait,
jusqu’à montrer la blancheur de ses dents, mais ne se confiait à personne, à
l’exception de quelques amis. Des amis d’enfance et de longue date qui sauront
partager les mêmes idéaux, les mêmes convictions que lui, et qu’il connaissait
sur le bout des doigts.
« Tout le
monde » le connaît et il connaît tout le monde. Sacré R …
« Nous sommes
encore dans les années 60, les moyens de communication, mis à part le téléphone
et le courrier n’arrangent rien. Les frais de transport s’avèrent coûteux.
L’Algérie, toute proche, semble lointaine. On n'ose pas en parler. On n’y songe
même pas, tellement les déchirures sont profondes. Le travail de réparation
pour une meilleure intégration se fait mal. Le coup est brutal. On ne cherche
rien, on ne veut rien. On cherche uniquement à se caser. Que les saints soient
avec nous.
R … ET LES SANGLOTS LONGS D’UN ÉTÉ 62 –VIII-
La plus grande erreur
de sa vie, disait-on, c’est d’avoir assisté au grand départ, d’avoir été le
témoin impuissant de ce qui n’était pour lui « qu’un Ô revoir mes
frères ». Nul ne pouvait ressentir l’amère douleur qui l’étouffait ce
jour-là et qu’il ressentait durement. Une partie de sa vie s’en est allée en ce
moment-là. Il nous a quittés lui aussi … il avait chaudement pleuré … et il
continue toujours de pleurer, même dans l’au-delà. R … fut le templier
de la France au Ruisseau et le Ruisseau fut sa chasse
gardée. Si R …avait continué son bout de chemin, il aurait certainement
crié haut et fort son désarroi : « rendez-moi ma France ».
R … nous
a quittés au tout début des années 90, partagé entre l’amour aveugle qu’il
vouait à l’avant 62 et l’amertume profonde qu’il portait aux hommes et aux
années de l’après 62. Un chagrin amer qu’il finira par noyer dans l’abus
quelque peu immodéré de l’alcool. Le vin rouge étant sa préférence.
Tiens aujourd’hui,
c’est son jour de fête. Il ira se coiffer les minces tiges de cheveux qui lui
restent encore sur la tête chez son ami et confident de toujours. Vous l’aviez
reconnu. C’est M … , le figaro de ces messieurs-dames. Deux têtes sous
un même bonnet. Cette fois R… aura à se débarrasser de son béret basque
qu’il posera allégrement sur ses genoux, à la manière des paras de Massu.
Mais, il y’a d’autres R
…, d’autres Petit M …, d’autres K …. d’autres D ..., d’autres M … au Ruisseau
et ailleurs.
(Une grande partie de
ce récit est conçu avec le précieux concours des vieux amis, encore en vie
de R …)
R….
: Un terme arabe attribué
quelquefois comme patronyme. Il désigne quelqu’un de gagnant, de victorieux,
envers qui et pour qui le sort y est favorable. On l’emploie également pour
marquer un évènement heureux ou chanceux. Selon la croyance populaire,
lorsqu’un accouchement est endeuillé par la perte d’un nouveau-né, le prochain
survivant portera le prénom de R …, synonyme d’une vie meilleure et
présage à un bel avenir.
ATLAS : Un vieux repaire de tristes naufragés d’une
vie ingrate. On y servait en ce lieu des vins et des liqueurs accompagnés
quelquefois de plats de sardines toutes chaudes, des crevettes, des écrevisses,
des olives, des cacahuètes, de petites tranches d’épinards, de la variante, des
cornichons, de petits morceaux de fromages rouges, de gruyères, de camemberts,
ou de fromages ordinaires.
PANIERS
EN OSIER : Elles feront le
bonheur de ces dames et de la ménagère, portés tels un sac à main, ou exposés
sur les rayons de pâtisserie, sur les comptoirs, ou derrière les devantures des
boulangeries.
MARSEILLE : De l’aveu même de R … qui s’était confié ce
jour-là, à des amis, à son retour de Marseille. R… se trouvait non loin de la gargote de Khiar
au milieu de son petit et grand monde ruisséen, dont je faisais partie. C’était
en 68. J’avais quinze ans.
7.
POUR LE MEILLEUR ET POUR LE PIRE
Ou les merveilleux récits de Alitoum
Aujourd'hui,
c'est jour de kermesse. C'est la joie et l'allégresse. On y danse tout en
liesse.
On
raconte qu'André, le fils du charcutier, vient tout juste de déserter
l'armée.
Il
se trouve dans les parages, non loin du village, à l'ombre d'un feuillage.
Rosette
qui
n'en fait qu'à sa tête semble avoir perdu la tête. Elle quitte aussitôt la
fête.
Elle
laisse tomber son cavalier et court rejoindre André son bien-aimé, un fou à lier.
Elle
enfourche sa bicyclette et part à la rencontre de ce trouble-fête.
Ce
dernier l'attend, couché dans les près à l'ombre d'un peuplier.
La
voici enfin, en tête à tête avec celui que l'on surnomme la bête.
On
dit qu'il aurait menacé avec une cognée monsieur le curé.
Tout
simplement parce que ce dernier n'a pas voulu les sceller pour l'éternité.
"Pourquoi
nous punir au lieu de nous unir pour le meilleur et pour le pire.
"Je
continuerai toujours à sévir et sans vous prévenir"
"Attendez-vous
au pire dans les jours à venir" lui a-t-il lancé, et
toujours selon les dires
"Mais
c'est encore une enfant" confient en larmes les
parents aux gendarmes.
On
dit qu'il l'aurait engrossée et qu'elle attend, parait-il, un bébé.
Et
encore, il est tout fier, racontent les mémères l'air hébété
Les
parents qui craignent un drame ont vite fait de donner l'alarme
Cette
fois, monsieur le juge vient de lancer un mandat d'amener à l'encontre de ce
forcené
Cela
fait bientôt une semaine que la maréchaussée lui court après pour tenter de le
rattraper.
On
dit que ce bon à rien qui mène une vie de vaurien a été vu en compagnie d'un
chien
Traquant
le sanglier et chassant l'épervier à l'orée d'un massif forestier.
Et
voilà, on vient d'apprendre qu'il serait tombé dans une embuscade tendue tout
près de la rocade
Ce
jour-là, armé d'un pistolet, il tentait de se démener mais fut vite maîtrisé
par des gendarmes armés.
Selon une idée de Alitoum
8. LES PETITS PAS DE Mr POUPENET
Aujourd'hui, est
samedi. Il est près de 14h00. Mr Poupenet, professeur
de français au collège La Corderie du Ruisseau ne donne pas cours
cet après-midi. Il en profite, et en grand homme, pour faire une tournée dans
la ville, et c'est au bar l'Atlas qu'il compte s'y rendre. Il emprunte
comme souvent cette longue et belle allée de La Cité. Affable et de
bonnes convenances, il salue sur son passage ces messieurs qu'il connaît peu ou
pas. D'habitude, c'est une serviette de couleur noire qu'il promène
soigneusement sous le bras, lorsqu'il aura à franchir la porte de l'ex école La
Corderie. Ce jour-là, c'est une chemise de couleur rouge bourrée de copies
qu'il porte sous le bras et dont il a du mal à s'en séparer. On dit qu'elle
renferme les épreuves écrites des examens. Et ça, il y tient beaucoup.
Quelques-uns de ses élèves regroupés avec d'autres amis à l'angle de l'ex
pharmacie Saligny se dérobent à ses yeux pour ne pas à être reconnus et
ne pas à avoir à s'expliquer les jours suivants sur un devoir mal appris. Ils
réapparaissent aussitôt, le temps de le voir disparaître. D'un pas lourd et
assuré, Mr Poupenet aborde les marches de l'escalier du bar
l'Atlas, pénètre à l'intérieur, s'assied sur une chaise, et se fait
servir une bière bien glacée. Il ne s'attardera point ici. Juste le temps de se
rincer le gosier.
Vieille
mémoire des années 60.
Des élèves éjectés de
l'école La Corderie furent repêchés, au grand bonheur de la nation, par
Mr Poupenet qui en fit par la suite de brillants sujets à la
tête aujourd'hui des plus hautes
institutions de l'Etat.
9. LES VOIX D'OUTRE-TOMBE
Octobre 2006
Les restes mortels de Pierre
Savorgnan de Brazza, ce grand explorateur français, inhumé au cimetière Bru
du Golf, en 1905, ont été exhumés à la demande du gouvernement congolais,
pour y être transférés à bord d'un avion spécial à destination de l'ex Congo-Brazzaville.
L'exhumation des ossements a été faite en présence de plusieurs personnalités
du corps diplomatique des pays concernés. Il est à signaler la présence du
premier ministre congolais, du personnel de l'ambassade du Congo
accrédité à Alger, des membres du consulat de France à Alger, des
suites de la branche française et italienne ainsi que des représentants de la
présidence d'El Mouradia. Notons que la femme et les deux enfants de Pierre
Savorgnan de Brazza qui reposait dans le même caveau familial, y firent
également partie du convoi funèbre. Une stèle commémorative a été érigée en son
honneur, à titre posthume, sur le sol congolais et une cérémonie grandiose fut
célébrée le jour même pour marquer le retour de ses cendres et leur
ré-inhumation en terre congolaise.
Une reconnaissance qui
vient à point et qui illustre grandement le centenaire de la mort de cet
explorateur français qui eut à explorer et à pacifier ce pays, sans que ne soit
tiré un seul coup de feu, et surtout à y affronter et à s'exposer à toutes les
maladies exotiques et prolifiques en cette partie de l’Afrique. Maria,
la femme de David Livingstone y
décéda de la malaria.
Une exploration qui
n'en finit pas. Même dans l'au-delà, il continue toujours de promener son bâton
de pèlerin et de prêcher la bonne parole.
L'auteur eut à relater
dans ses précédents recueils, au premier mois qui suit l’événement,
l'exhumation des restes de Pierre Savorgnan de Brazza et son rapatriement vers
le Congo, son pays d'adoption.
10.
PIERRE MAUROY DECOUVRE ALGER
Année 1984-1985
Un
look qui n'a rien à envier à celui d'un lord magistrat britannique. Une carrure
athlétique qui ressemble en beaucoup, à celle d'un rugbyman écossais. Le pas
ferme et décidé comme pour se rendre à un endroit précis. Les mains qui vont et
qui viennent et qui s'attachent à se donner plus d'assurance, Pierre Mauroy,
entouré de ses proches collaborateurs, semblait plutôt se soucier des
prochaines perspectives que par la beauté de ce vieil Alger et de tout
ce qui l'entoure. Ce jour-là, drapé dans un beau costume croisé, de couleur
bleu-pétrole, Pierre Mauroy, arpentait en grand homme la rue Larbi
ben M'hidi ex rue d'Isly. Cette fois il est tout près de la Grande
Poste. Une surveillance policière discrète assurait au loin sa sécurité.
Elle l'accompagnait fidèlement dans tous ses déplacements.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire