dimanche 22 novembre 2015

NOUS, LES ENFANTS DU PRINCE DE POLIGNAC ....3

R … LE BADEN POWELL –IV-

L’odyssée de R … ne s’arrête pas là. Il évoquera quelquefois avec ses amis de beuverie ses belles randonnées pédestres qu’il eut à parcourir longuement à travers les vieilles montagnes ensoleillées de la Chiffa et les vertes prairies de Mouzaïa, ex Germain, de Saoula, de Castiglione, en compagnie du personnel de la Maison Bata, du journal Le Figaro, et des grandes maisons de vins. Une belle romance qui remonte vers la fin des années 30 et qu’il n’est pas prêt d’oublier, dira t’il à ses amis. C’est la naissance des premiers congés payés et R … fut l’un des tout premiers musulmans à rallier le mouvement des vacanciers et à succomber au charme du bivouac et des auberges de campagne. Sollicité par les pionniers du social à l’époque, R … fut tout content d’offrir ses bonnes œuvres d’éclaireur à la manière d’un parfait anglo-saxon. Et c’est à lui que revient l’honneur de fixer le choix du terrain, de dresser les tentes, de veiller à l’approvisionnement des vivres conservés dans de petits voitures-fourgons frigorifiques, d’accompagner la préposée aux postes pour l’envoi de cartes-postales, d’assister l’infirmière dans les premiers soins, d’allumer et d’éteindre le moment venu le feu du bûcher et surtout d’y veiller la nuit tombée aux incursions afin d’empêcher le "loup" de quitter sa tanière et de s’introduire dans la bergerie.

BERGERIE : C’est dire que ceux qui s’entendent parfaitement le jour, se recherchent mutuellement le soir pour se retrouver souvent sous une même tente ou un même logis, la nuit tombée. Et  R … est là pour veiller et maintenir la cohésion du groupe dira t-il. Comme pour plaisanter, ses vieux amis lui lançaient cette vieille boutade. « Le loup, c’est toi R … et c’est toi qu’il faut craindre ». Cette fois, R… n’arrête pas de glousser, et de dire, "c’est faux, c’est faux".


R … L’ANGE VAGABOND –V-


R… se rendait souvent à la forêt Messoussi pour y poser des pièges à lapins, à grives, pour y cultiver sa passion d’artisan vannier, pour se remémorer ces belles journées de pique-niques passées en compagnie de ses meilleurs amis, mais surtout pour se rafraîchir cette vieille mémoire qu’il n’aimerait pas lâcher pour tout l’or du monde. Histoire de se voir replonger dans le bon vieux temps. Ce jour-là, il s’en allait joyeusement en sifflotant, une musette jetée sur l’épaule, une bouteille de rouge – vieille amie de toujours et des beaux jours – dissimulée quelque part … Allez savoir où ? Une rame de roseaux sous le bras et quelques brindilles de figuiers ramassées, par-ci, par-là, feront comme toujours l’affaire. Il aimait s’entourer de ce vieil arsenal qu’il découpait au coutelas, entrelaçait et tressait à la main pour y confectionner des paniers* en osier, à pains, à brioches, et des corbeilles à fleurs. De petites merveilles qui seront exposées et revendues au marché Les Halles de Belcourt et qui iront faire le bonheur des ménages. Il s’asseyait au-dessus de cette monticule de terre, à quelques pas plus haut de l’hôpital psychiatrique Drid Hocine, pour y voir le bris des vagues des Sablettes qui iront se fracasser sur les rochers et l’arracher à ses rêves, et à son passé de grand maitre. Tard le soir, à sa descente des bois, il nous remettait souvent, à nous autres bambins, de petites tranches de biscottes, de biscuits, de pain d’épices et de légères barres de chocolats, menus fretins d’un petit repas, à demi-consommé. Quelquefois, il tirait sur le cordon de la musette, exhibant ses gros bras velus et ses mains rugueuses pour nous montrer le petit trophée de la journée. On y voyait un ou deux lièvres, parfois une caille ou une perdrix étalées de tout leur long, raides morts. Un gros gibier, dont il en fera un véritable régal entre amis, le soir venu.


R … LE TOMBEUR DE CES DAMES –VI-

Elles furent nombreuses ces dames, à solliciter en ces jours de repos, ses services de travaux d’entretien, de jardinage, de peinture, de bricolage, de lampisterie, de fumisterie, et de ramonage ... qu’il exécutait avec soins et amour. Aussitôt terminés, on l’invitait à chaque fois à prendre un thé, un café ou un léger apéritif. Une meilleure façon de le remettre sur les rails auquelle il ne pouvait y échapper. C'est aussi une sacrée combine qui permettra à ses hôtes féminins d’y bavarder et de le fixer droit dans les yeux. Cette fois, il ne vous dira jamais, lui qui a un faible pour les nanas de La Régie, du Mont-Fleury, du Chemin Vauban, de La Cité … comment il a réussi à épingler M... , L… et tant d’autres … elles étaient consentantes, tout de même, avoue t’il à ses amis. « Non ! Non ! C’est trop intime » dira t’il aux plus jeunes. « Ça, c’est fait pour les grands » lança t’il à ces polissons avec un sourire qui en dit long. Et c’est dans ce beau quartier du Mont-Fleury qu’il « prendra son pied » et qu’il y laissera planer sa patte de velours, auprès de celles qui le lui rendaient si bien, disait-on. Cette fois, il souriait lorsqu'il évoquait entre amis le tour de "l’escabeau*", ou celui de la "queue leu leu**" ou encore celui du "train-train*".
Des noms bien originaux, dont lui seul connaît le secret.

*  **  *: « Une connotation saine et pure enveloppe ces termes qui sont loin d’être immoraux. »

R … L’ANGE-GARDIEN –VII-

En 1968, lorsqu’il s’était rendu à Marseille, c’était pour revoir ses amis, mais surtout pour vomir le purgatoire. On venait le voir de « partout » pour l’entendre égrener la suite d’un récit brutalement interrompu. « Mais, ce n’est pas possible, c’est toi R… Que tu as changé ! Tu es toujours aussi grand et aussi fort », lui disait-on. On l’invitait chez soi. On prenait soin d’écouter parler, l’oreille tendue et les yeux rieurs, celui qu’on avait laissé ici pour protéger et veiller sur les plates-bandes encore fraîches de chacun. Ce jour-là, R …s’était libéré de cette dure étreinte qui l’étouffait et auquelle il ne pouvait y résister. R… souriait, blaguait, s’esclaffait, jusqu’à montrer la blancheur de ses dents, mais ne se confiait à personne, à l’exception de quelques amis. Des amis d’enfance et de longue date qui sauront partager les mêmes idéaux, les mêmes convictions que lui, et qu’il connaissait sur le bout des doigts.
« Tout le monde » le connaît et il connaît tout le monde. Sacré R …
« Nous sommes encore dans les années 60, les moyens de communication, mis à part le téléphone et le courrier n’arrangent rien. Les frais de transport s’avèrent coûteux. L’Algérie, toute proche, semble lointaine. On n'ose pas en parler. On n’y songe même pas, tellement les déchirures sont profondes. Le travail de réparation pour une meilleure intégration se fait mal. Le coup est brutal. On ne cherche rien, on ne veut rien. On cherche uniquement à se caser. Que les saints soient avec nous.

R … ET LES SANGLOTS LONGS D’UN ÉTÉ 62 –VIII-

La plus grande erreur de sa vie, disait-on, c’est d’avoir assisté au grand départ, d’avoir été le témoin impuissant de ce qui n’était pour lui « qu’un Ô revoir mes frères ». Nul ne pouvait ressentir l’amère douleur qui l’étouffait ce jour-là et qu’il ressentait durement. Une partie de sa vie s’en est allée en ce moment-là. Il nous a quittés lui aussi … il avait chaudement pleuré … et il continue toujours de pleurer, même dans l’au-delà. R … fut le templier de la France au Ruisseau et le Ruisseau fut sa chasse gardée. Si R …avait continué son bout de chemin, il aurait certainement crié haut et fort son désarroi : « rendez-moi ma France ».
R … nous a quittés au tout début des années 90, partagé entre l’amour aveugle qu’il vouait à l’avant 62 et l’amertume profonde qu’il portait aux hommes et aux années de l’après 62. Un chagrin amer qu’il finira par noyer dans l’abus quelque peu immodéré de l’alcool. Le vin rouge étant sa préférence.
Tiens aujourd’hui, c’est son jour de fête. Il ira se coiffer les minces tiges de cheveux qui lui restent encore sur la tête chez son ami et confident de toujours. Vous l’aviez reconnu. C’est M … , le figaro de ces messieurs-dames. Deux têtes sous un même bonnet. Cette fois R… aura à se débarrasser de son béret basque qu’il posera allégrement sur ses genoux, à la manière des paras de Massu.
Mais, il y’a d’autres R …, d’autres Petit M …, d’autres K …. d’autres D ..., d’autres M … au Ruisseau et ailleurs.
(Une grande partie de ce récit est conçu avec le précieux concours des vieux amis, encore en vie de R …)
R….  : Un terme arabe attribué quelquefois comme patronyme. Il désigne quelqu’un de gagnant, de victorieux, envers qui et pour qui le sort y est favorable. On l’emploie également pour marquer un évènement heureux ou chanceux. Selon la croyance populaire, lorsqu’un accouchement est endeuillé par la perte d’un nouveau-né, le prochain survivant portera le prénom de R …, synonyme d’une vie meilleure et présage à un bel avenir.
ATLAS : Un vieux repaire de tristes naufragés d’une vie ingrate. On y servait en ce lieu des vins et des liqueurs accompagnés quelquefois de plats de sardines toutes chaudes, des crevettes, des écrevisses, des olives, des cacahuètes, de petites tranches d’épinards, de la variante, des cornichons, de petits morceaux de fromages rouges, de gruyères, de camemberts, ou de fromages ordinaires.
PANIERS EN OSIER : Elles feront le bonheur de ces dames et de la ménagère, portés tels un sac à main, ou exposés sur les rayons de pâtisserie, sur les comptoirs, ou derrière les devantures des boulangeries.
MARSEILLE : De l’aveu même de R … qui s’était confié ce jour-là, à des amis, à son retour de Marseille. R…  se trouvait non loin de la gargote de Khiar au milieu de son petit et grand monde ruisséen, dont je faisais partie. C’était en 68. J’avais quinze ans.


7.       POUR LE MEILLEUR ET POUR LE PIRE
Ou les merveilleux récits de Alitoum

Aujourd'hui, c'est jour de kermesse. C'est la joie et l'allégresse. On y danse tout en liesse.
On raconte qu'André, le fils du charcutier, vient tout juste de déserter l'armée.
Il se trouve dans les parages, non loin du village, à l'ombre d'un feuillage.
Rosette qui n'en fait qu'à sa tête semble avoir perdu la tête. Elle quitte aussitôt la fête.
Elle laisse tomber son cavalier et court rejoindre André  son bien-aimé, un fou à lier.
Elle enfourche sa bicyclette et part à la rencontre de ce trouble-fête.
Ce dernier l'attend, couché dans les près à l'ombre d'un peuplier.
La voici enfin, en tête à tête avec celui que l'on surnomme la bête.
On dit qu'il aurait menacé avec une cognée monsieur le curé.
Tout simplement parce que ce dernier n'a pas voulu les sceller pour l'éternité.
"Pourquoi nous punir au lieu de nous unir pour le meilleur et pour le pire.
"Je continuerai toujours à sévir et sans vous prévenir"
"Attendez-vous au pire dans les jours à venir" lui a-t-il lancé, et toujours selon les dires
"Mais c'est encore une enfant" confient en larmes les parents aux gendarmes.
On dit qu'il l'aurait engrossée et qu'elle attend, parait-il, un bébé.
Et encore, il est tout fier, racontent les mémères l'air hébété 
Les parents qui craignent un drame ont vite fait de donner l'alarme
Cette fois, monsieur le juge vient de lancer un mandat d'amener à l'encontre de ce forcené
Cela fait bientôt une semaine que la maréchaussée lui court après pour tenter de le rattraper.
On dit que ce bon à rien qui mène une vie de vaurien a été vu en compagnie d'un chien
Traquant le sanglier et chassant l'épervier à l'orée d'un massif forestier.
Et voilà, on vient d'apprendre qu'il serait tombé dans une embuscade tendue tout près de la rocade  
Ce jour-là, armé d'un pistolet, il tentait de se démener mais fut vite maîtrisé par des gendarmes armés.

Selon une idée de Alitoum

8.       LES PETITS PAS DE Mr POUPENET

Aujourd'hui, est samedi. Il est près de 14h00. Mr Poupenet, professeur de français au collège La Corderie du Ruisseau ne donne pas cours cet après-midi. Il en profite, et en grand homme, pour faire une tournée dans la ville, et c'est au bar l'Atlas qu'il compte s'y rendre. Il emprunte comme souvent cette longue et belle allée de La Cité. Affable et de bonnes convenances, il salue sur son passage ces messieurs qu'il connaît peu ou pas. D'habitude, c'est une serviette de couleur noire qu'il promène soigneusement sous le bras, lorsqu'il aura à franchir la porte de l'ex école La Corderie. Ce jour-là, c'est une chemise de couleur rouge bourrée de copies qu'il porte sous le bras et dont il a du mal à s'en séparer. On dit qu'elle renferme les épreuves écrites des examens. Et ça, il y tient beaucoup. Quelques-uns de ses élèves regroupés avec d'autres amis à l'angle de l'ex pharmacie Saligny se dérobent à ses yeux pour ne pas à être reconnus et ne pas à avoir à s'expliquer les jours suivants sur un devoir mal appris. Ils réapparaissent aussitôt, le temps de le voir disparaître. D'un pas lourd et assuré, Mr Poupenet aborde les marches de l'escalier du bar l'Atlas, pénètre à l'intérieur, s'assied sur une chaise, et se fait servir une bière bien glacée. Il ne s'attardera point ici. Juste le temps de se rincer le gosier.

Vieille mémoire des années 60.

Des élèves éjectés de l'école La Corderie furent repêchés, au grand bonheur de la nation, par Mr Poupenet qui en fit par la suite de brillants sujets à la tête  aujourd'hui des plus hautes institutions de l'Etat.


9.     LES VOIX D'OUTRE-TOMBE
Octobre 2006

Les restes mortels de Pierre Savorgnan de Brazza, ce grand explorateur français, inhumé au cimetière Bru du Golf, en 1905, ont été exhumés à la demande du gouvernement congolais, pour y être transférés à bord d'un avion spécial à destination de l'ex Congo-Brazzaville. L'exhumation des ossements a été faite en présence de plusieurs personnalités du corps diplomatique des pays concernés. Il est à signaler la présence du premier ministre congolais, du personnel de l'ambassade du Congo accrédité à Alger, des membres du consulat de France à Alger, des suites de la branche française et italienne ainsi que des représentants de la présidence d'El Mouradia. Notons que la femme et les deux enfants de Pierre Savorgnan de Brazza qui reposait dans le même caveau familial, y firent également partie du convoi funèbre. Une stèle commémorative a été érigée en son honneur, à titre posthume, sur le sol congolais et une cérémonie grandiose fut célébrée le jour même pour marquer le retour de ses cendres et leur ré-inhumation en terre congolaise.
Une reconnaissance qui vient à point et qui illustre grandement le centenaire de la mort de cet explorateur français qui eut à explorer et à pacifier ce pays, sans que ne soit tiré un seul coup de feu, et surtout à y affronter et à s'exposer à toutes les maladies exotiques et prolifiques en cette partie de l’Afrique. Maria, la femme de David Livingstone  y décéda de la malaria.
Une exploration qui n'en finit pas. Même dans l'au-delà, il continue toujours de promener son bâton de pèlerin et de prêcher la bonne parole.
L'auteur eut à relater dans ses précédents recueils, au premier mois qui suit l’événement, l'exhumation des restes de Pierre Savorgnan de Brazza et son rapatriement vers le Congo, son pays d'adoption.


10.     PIERRE MAUROY DECOUVRE ALGER
Année 1984-1985
Un look qui n'a rien à envier à celui d'un lord magistrat britannique. Une carrure athlétique qui ressemble en beaucoup, à celle d'un rugbyman écossais. Le pas ferme et décidé comme pour se rendre à un endroit précis. Les mains qui vont et qui viennent et qui s'attachent à se donner plus d'assurance, Pierre Mauroy, entouré de ses proches collaborateurs, semblait plutôt se soucier des prochaines perspectives que par la beauté de ce vieil Alger et de tout ce qui l'entoure. Ce jour-là, drapé dans un beau costume croisé, de couleur bleu-pétrole, Pierre Mauroy, arpentait en grand homme la rue Larbi ben M'hidi ex rue d'Isly. Cette fois il est tout près de la Grande Poste. Une surveillance policière discrète assurait au loin sa sécurité. Elle l'accompagnait fidèlement dans tous ses déplacements.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire