dimanche 22 novembre 2015

NOUS, LES ENFANTS DU PRINCE DE POLIGNAC ....1

LES CENDRES DE LA NOSTALGIE                                                                                       1er partie

Ce chapitre est un recueil à caractère historique, sociologique, culturel et littéraire . Il est dédié à tous mes amis du Ruisseau.
Les photos, articles, commentaires … insérés dans cette rubrique appartiennent dans leur intégralité à l'auteur. Toute reproduction même partielle du contenu de cet ouvrage est strictement interdite.
On peut avoir le verbe, la plume, la fougue, la verve, la fibre d'un enfant de la métropole. Quant à l'âme spirituelle d'un enfant de la métropole, Dieu seul sait qui et combien en sont imprégnés. Lui seul, saura à qui il a insufflé cette âme. 

            Je suis Russe et je le suis jusqu'à la moelle épinière.
Rimski-Korsakov

1.         UN MERVEILLEUX DON DE LA NATURE

Dans ce beau et spacieux standing de douze pièces, au 5ème et dernier étage de ce bel immeuble de l'avenue H..., un petit garçon de confession ......, âgé  à peine de douze ans, et sa sœur d'un même âge près, se lançaient gaiement à la découverte des lois universelles encore inconnues de l'informatique. Je me trouvais debout derrière eux, le regard admiratif, et les deux mains posées à hauteur du siège cervical. Tout près de moi, se tenait fièrement leur maman, les bras tendrement croisés et les yeux grandement rieurs. 
Une petite merveille de la nature, aussi belle, aussi gigantesque, que l'est le premier pas  de l'homme sur la lune.
De l'autre côté de la méditerranée, quelque part dans ce beau pays ...... , un petit garçon de confession…... , d'un même âge que les précédents, s'adonnait avec la bénédiction des pouvoirs publics, au gardiennage de voitures, un gourdin dissuasif sous le bras.

Un vrai comble de l'histoire de l'humanité              

Entre un duo, virtuose du clavier qui nous rapproche du monde moderne et un petit derviche, voltigeur du bâton, qui nous entraîne dans les bas-fonds de la préhistoire, le fossé semble loin ... aussi loin que l'est la distance de la terre à la lune.
Pour des raisons exceptionnelles l'éditorial consacré à ce chapitre ne sera pas publié dans les colonnes d'Internet. 

2.      NOUS, LES ENFANTS DU PRINCE DE POLIGNAC

EN PARLER, C'EST … -I-

On veut parler … Oui, mais y parler, c'est mettre la main sur la mémoire de nos grands-parents, c'est réveiller les consciences endolories, les mémoires endormies, les douleurs ensevelies, les troubles indescriptibles. C'est éveiller les reflets nocifs de sa nostalgie. C'est un sacrilège. Un crime de lèse-majesté …. Pourtant en parler est devenu une nécessité, un devoir de bon citoyen de la métropole. C'est même afficher son appartenance à la république. C'est la préoccupation pour beaucoup. C'est même une obsession envahissante. Cette fois, on se met à parler. Chacun y passe…
En parler, c'est évoquer le passé. C'est faire étalage de sa douleur, de ses passions égarées, de ses sentiments refoulés, de ses pensées inhibées. En parler, c'est transporter avec soi et partager avec d'autres tout un univers fait de sang, de larmes, de deuils, de fleurs … fanées, de cercueils. C'est normal ! On a vécu ensemble en une période peu lointaine, dans la joie, la peine, la douleur. On se recherche une dernière fois pour se blottir l'un contre l'autre et mourir enfin d'une belle mort. « Tout comme font les animaux » disait André Demaison dans son livre « Nos amis les bêtes ». Cette fois, on se sent plus forts pour aborder l'histoire par la grande porte. Affronter l'histoire, on y parviendra ensemble la main dans la main.

LES VOIX DU PASSÉ – II –

Un paysage nouveau se dessine à l'horizon. C'est le monde du virtuel, c'est celui des scribouillards de l'Internet. On n'échappe pas aux contraintes des circuits de la communication. L'Internet est devenu un objet de rapprochement, un signe de ralliement, un média d'accompagnement. Il a investi notre univers déjà fragile. « On devient écrivassier » … avec le temps, comme disait Michel Rocard. Chacun y passe. C'est une affaire qui rapporte gros. On fait tourner et brasser les affaires. On se confie à la voix des ondes. Elle apporte le réconfort. Elle émane d'une gorge plaintive, profonde, rauque et lointaine. Elle est douce, chaude, captivante et rassurante. Elle promet de nous mener loin … très loin. On cherche à nouer le contact, fut-il éloigné. Chacun y va de sa chanson. Ils finiront toujours par trouver quelque chose au loin. Ils parlent et ils écoutent, ils lisent et ils écrivent. Ils se confient, ils se chuchotent, ils se vident, ils se rechargent les batteries pour une nouvelle vie. On veut rattraper et explorer le temps perdu. L'envie de parler et d'écrire est devenue un style. Un mode de vie. Elle est passée dans la perfection, dans la communication de tous les jours.
« Je vous ai reconnu du premier coup » confie P …..., fier de ses  attaches et de sa mémoire toujours fidèle. « On fréquentait la même classe, te souviens-tu ? » renchérit de nouveau E....... qui ne jure que par le passé. « Vous étiez plus jeune et moins belle » enchaîna cet autre, non sans vouloir tenter un brin de cour. « Je connais vos parents ... » s'empressa de rajouter J......, ravi d'avoir retrouvé une amie d'enfance qu'il trouvera plus alléchante qu'autrefois. On est mieux aguerris cette fois. On est plus mûrs. D'ailleurs, on a un compte à régler avec dame colonie, si chère à Jules Ferry.
Enfin, et pour de vrai, on se sent bien dans sa peau, ou plutôt dans sa tête.
« Parlez-moi de lui ». Cette fois, Nicole Croisille nous entraîne loin, avec sa voix de velours, pour nous faire revivre les moments intenses de la vie, comme ceux endurés durant la guerre d'Algérie.

LE PASSÉ, C'EST … – III –

Certains ont un goût profond pour le passé, fut-il amère. Faire parler le passé dans un monde présent ou à venir ne va pas sans heurts ni contrariété. C'est pénétrer dans un univers poussiéreux, suffocant et fragile, qui vous empêche de respirer et d'y voir clair. C'est incommodant, disent les bibliothécaires. C'est marier l'ancien et le nouveau, le beau et le disgracieux, le pur et l'impur, le limpide et le tumultueux, le sage et le vilain. C'est entrer peu-à-peu dans le monde burlesque du mardi gras. Pour beaucoup, c'est s'offrir les traits d'une seconde personnalité et se laisser transfigurer. C'est d'être tiraillé de part et d'autre et être victime de troubles de la pensée. C'est verser dans la complaisance et frôler la mythomanie. C'est sombrer dans la cacophonie et succomber à la déprime. On n'est plus maître de soi-même. Ça fait mal, très mal, disent les psychologues. Pourtant, on veut faire revivre le passé, ce passé longtemps relégué dans l'oubli. Ce n'est point pour y trouver un tremplin et faire un saut en arrière, mais pour y chercher un refuge euphorisant.
Jacques Laurent chroniqueur au journal Le Monde  aborde le passé sous un autre angle, le contexte étant cette fois différent, et rapporte dans un article publié dans le quotidien Le Monde du 24 février 1980 la réflexion suivante : « Pourtant l'avenir c'est le passé, et le passé est notre plus sûr refuge contre l'avenir ». Et J. Steinberg, rattrapé par la prosodie traditionnelle de Baudelaire, et plus proche des idées de ce dernier, atteste : "Le passé, n'est même pas passé."

ROMPRE AVEC LE PASSÉ, ON … – IV –

L'ère  expansionniste de « monseigneur » Jules Ferry ne fait plus son chemin en ce temps présent. L'idée d'une nouvelle politique coloniale est révolue. Elle n'a plus sa place et n'a plus droit d'être citée. On veut rompre avec le passé. On ne veut plus entendre parler de ce passé égocentrique et tourmenté. On refuse de s'encombrer d'images effroyables, de scènes épouvantables, de maux indescriptibles, de troubles tumultueux. Y penser seulement, c'est flirter avec la douleur, c'est faire renaître la souffrance, c'est même enfanter une nouvelle fois le malaise, et créer autour de soi un feu de braise. On ne veut plus croire en cette Afrique, terre de colonies, porteur de déchirures, de désillusions, de désenchantement. La déchirure est profonde. Elle saigne abondamment. Un parcours glorieux parsemé d'embûches, de déceptions …... brisé à jamais.
J'en veux à ma famille de m'avoir enfanté ici, sur cette terre », dira M*...R...lors d'un dîner organisé en son honneur, par une vieille famille de notables musulmans des H ….......
« Famille, je vous hais » dira cette autre fois, Hervé Bazin.

M ...R ; Descendant d'une vieille famille des Pyrénées installée à ….......... en 1852, M.....R… aura à partager avec cette honorable famille musulmane le f''tour du ramadan, lors de sa dernière visite aux H......... à  …....... en 2011.

OUBLIER, ON … – V-

« On veut oublier » disent les pacifistes. « Oublier, surtout pas ... »  nous rattrapent les faucons, comme exhortés par les démons. On ne se défait pas facilement de l'héritage spirituel de nos aïeux. On n'efface pas d'un coup, à la brosse et au chiffon, le produit de plusieurs générations. On n'oublie pas. D'ailleurs, on a du mal à rompre avec le passé et s'envoler rapidement avec un futur parsemé d'embûches. Un parcours incertain, sans lendemain. Oublier, ce serait commettre une trahison, un abandon, un désengagement, surtout si l'on appartient à une terre vierge, chaude, chaste, qui vous a vu naître, à une terre arrosée à l'eau-de-vie, à une caste privilégiée, à une armoirie luisante. Pour mieux dire, c'est tomber sous le coup de l'apostat et le regretter toute sa vie. On ne plie pas. On ne rompt pas. On ne pardonne pas …
«Il faut oublier … le temps des malentendus » nous suggère avec dévotion la voix prenante de Jacques Brel.
« Non, on n'oublie pas … surtout pas ... » s'entêtent à le répéter les plus avertis....

RÊVER, C'EST …... – VI-

Cette fois, on en vient à la solution la plus simple et la plus radicale, privilégiée par beaucoup. C'est l'envie fantasmagorique d'y rêver. Elle nous permet de tirer un trait sur une période de notre vie longtemps révolue. Elle nous procure cette sensation agréable de faire le vide autour de soi, tout en ayant conscience d'avoir libéré notre pensée, de s'être débarrassé de quelque chose d'encombrant.
Rêver, c'est jouir. C'est mieux ainsi, nous dit-on. C'est un refuge. C'est échapper à l'emprise du mal, à l'empire de la monotonie, à cette langueur mélancolique. On préfère se rallier à quelque chose de nouveau, plutôt que de se laisser envahir par les turbulences d'un passé incertain. Cette fois, et pour de vrai, on se confie à notre imagination qui, pourtant, disait-on naguère, n'arrête pas de nous jouer des tours. Tout cela, pour venir à bout de nos attentes, de nos ambitions. Il est vrai que l'envie d'y retourner en arrière est la plus forte.
Pourtant la réalité est tout autre s'accordent à dire les sociologues. Rêver, c'est entrer dans un monde brillant et ne plus en ressortir. C'est céder la place à des idées épicuriennes et se laisser constamment dépasser sur le plan intellectuel. C'est ne plus être de son temps et ne plus pouvoir y avancer. Pis encore, c'est stagner, c'est même revenir en arrière. On n'est plus maître de soi-même. On aura du mal à joindre le passé, le présent et le futur. Du mal à revenir à la raison, affirment de nouveau les maîtres à penser.

MÉMOIRES D'OUTRE-TOMBE  – VII-

La France a perdu ses colonies en terre d'Afrique. Pour cela, retournons en arrière et voyons le cas plus édifiant de l’Amérique du Nord, de l'Australie, du Canada, de l'Irlande, de l'Afrique du Sud. Un continent où l'influence britannique et française furent prépondérantes, où plusieurs générations de colons se sont succédés sur un long parcours, vieux de plus de 3 à 5 siècles. C'est un peu loin, me diriez-vous, mais ils ont réussi tout de même à s'implanter et à s'intégrer sur des terres nouvelles, riches, sauvages et fascinantes, car d'une même et unique entité confessionnelle.
Le Canada, ce vaste et immense continent , et grande puissance forestière et agricole,  portera à jamais le qualificatif de « vaste empire des bois et de blé ». Montcalm a réussi. Il y laissera la vie en défendant le Québec. Vive le « Québec libre» dira De Gaulle, 2 siècles après.
L'Inde, un vaste continent aux visages pluri-ethniques, creuset d'une  vieille religion hindouiste. Dupleix y échoua. Abandonné par le roi, il lâchera à son tour l'Inde et le commerce florissant de la Compagnie française des Indes. Il mourra ruiné sans avoir pu rembourser les dettes contractées auprès de ses débiteurs.
L'Afrique, un immense bloc et riche gisement minier (or, diamant, houille, uranium...). Elle sera découpée, dépecée, tronçonnée en une multitude d'Etats. Fragile, fragilisée par les luttes intestines, l'Afrique n'est pas prête de sortir de sa profonde léthargie.

LES VOIX DU FIRMAMENT – VIII-

On se met à emprunter le chemin des écoliers. Celui des retrouvailles du petit poucet. On sème des cailloux. On fait du chemin pour retrouver son chemin. On se met à marier le cours des années, de l'histoire, à extrapoler sur les jours à venir, à chevaucher sur les mois qui se succèdent. On se dit tiens ! Et si l'année 1962 avait été 1982. Et si l'année 1962 avait été 2002 ou 2015. Cette fois on aura « tout à gagner » ou du moins « rien à perdre». Il aura fallu attendre vingt ans, trente ans, et le cours de l'histoire aura certainement changé, ou du moins en une petite partie. Les institutions sont plus fortes cette fois.
L'O.N.U., l'O.N.G, la ligue des droits de l'homme, la ligue de la défense des minorités, Amnesty International. On en viendra cette fois à bout.

NOUS, LES ENFANTS DU PRINCE DE POLIGNAC ....2

LE TUMULTE DE L'HISTOIRE – IX-

Chaque histoire transporte avec elle son lot de parjure, de malentendu, d'ingratitude. Chaque guerre traîne avec elle son pesant de malheur, de désolation, de désastre, de ruine. Un demi-siècle, c'est peu dans la vie d'un homme … très peu d'années. C'est même éphémère, confronté à une vie de bonheur. C'est même beaucoup, beaucoup trop, face à la souffrance d'un homme. On aura évoqué toutes les facettes possibles de la colonisation. On continue toujours de fouiner dans son passé, de fouiller dans sa mémoire toujours dans l'espoir de découvrir quelque chose d'enfouie, de cachée, de surprenant … Quelque chose qui nous permet de nous libérer de cette dure étreinte et de bouleverser ainsi la face cachée de cette histoire tumultueuse.
Le constat est amer. Une moisson de blé, une corbeille de fruits, une gerbe de fleurs … Et c'est le cercueil d’Amédée Froger qui emprunte le boulevard du Front de mer et qui tente de se frayer un passage devant une foule en délire.

Un demi-siècle est passé depuis 1962, peut-être dans la tourmente, la passion, la haine. On aura perdu toutefois l'essentiel …

LA MÉMOIRE INDESCRIPTIBLE – X-

Il y avait ce jour là quelque chose d'indescriptible vue 50 ans après. Quelque chose de surnaturelle qui relève de l'irréel et qui a échappé à la raison, en ce mois de juillet 1962. En fait, ce jour là, est synonyme de suicide collectif. On y parlera d’une apocalypse morale. 20 ans ou 30 ans après, et le cours de l'histoire aura changé. Rien n'est aussi beau que celui qui aura fait l'histoire. La colonisation, une affaire confessionnelle avez-vous dit ?
La fin du siècle passé aura marqué sans doute la fin des passions et des déchirements. Le commencement de ce vingt-et-unième siècle est le repos du seigneur. C'est le retour aux vieilles sources purificateurs de l'âme. C'est aussi la fin d'un malaise qui ne trouvera son épilogue que dans l'écriture, le verbiage, la mort, l'amour, le bonheur.
L'an 2000 aura été tout de même celui des retrouvailles.

 3.      LES RAISINS DE LA COLÈRE

Chacun de nous sait qu'une grappe de raisin revêt en arabe dialectal le qualificatif de « aângoud aânab ». Quant aux grappillons, c'est-à-dire, tout ce qui reste dans la vigne après la récolte d'une bonne vendange, ils porteront toujours en arabe, l'appellation obscure de cherch(ou)bas.
Oui, mais comment et pourquoi on est arrivés à ce terme ? Un véritable charabia* disait-on en espagnol.
La grappe de raisin, qui est loin d'être encore un grappillon*, et délibérément abandonnée ici pendant les vendanges, dans l'espoir d'être recueillie par l'arabe, dans la douce clarté de clair de lune. Le gérant ou le propriétaire de cette exploitation vinicole, qui en connaît la chanson, sans doute informé par le garde-champêtre, revint sur les lieux de la récolte et enjoint cette fois à l'arabe de bien chercher les jolies grappes de raisin qui demeurent toujours dissimulées derrière les ceps feuillus. Ce dernier, qui feint de ne pas voir les tendres grappes de raisin cachées parmi les pampres de la vigne lui dit :
-         « Mais, il n'y a rien ici, monsieur ».
-         « Cherche (en) bas » lança, fou de rage, le gérant à l'adresse de ce dernier.
-         « Ah ! Ça y est cette fois je la vois la cherche(ou)bas », s'écria l'arabe tout en feignant la stupeur.
-         « Eh bien ! Tant mieux, il a fallu du temps », conclua le propriétaire hors de lui, mais ravi d'avoir touché au but.
« Un  véritable charabia », dira ce dernier fou furieux, à sa femme, une fois rentré chez lui.
« Radin », disaient à leur tour les arabes à propos du gérant de ce domaine vinicole qui ne laissera rien passer, ni même tomber, fût-il le maigre repas de nos petits oisillons.
C'est ainsi que l'expression cherche(en)bas, un adjectif aux caractères impératifs, qui s'affirme comme absolu, tant décrié par les arabes, sera débarrassé à la suite d'une mauvaise prononciation de la préposition (en) qui marque le lieu, l'état et la manière. Elle endossera à son insu la lettre (ou) qui ne remplit ni le rôle d'une alternative ou d'une équivalence, encore moins celui d'une bonne syntaxe grammaticale, et qui ira se métamorphoser la nuit tombée, en une jolie grappe de raisin pour le plaisir d'enrichir le gueuleton de ces gens-là.
De cherche(en)bas, à cherche(ou)bas à cherche bien, à ce charabia, il n'y a qu'à lever ce petit pan de vigne pour découvrir toute la face cachée d'un champ de vignoble et toute la splendeur d'une belle grappe de raisin camouflée derrière la tige ligneuse de la vigne.
Les terres de Titteri, de Médéa, de Tlemcen, de Mascara, de Aïn-Bessem, des monts de Zaccar non loin de Miliana, de Aïn-el-Malh, ex Rio-de-Salado plus près de Aïn-Témouchent … furent longtemps réputées pour leur production abondante de raisins rouges et leurs vins ordinaires de haute qualité et de très bonne renommée. Une terre vinicole caractérisée par la température d'un climat chaud qui dispose en outre d'un sol méditerranéen de couleur rouge favorable à la culture de la vigne et mieux adapté à la main de l'homme. Citons le cabernet savignon, le sarah et le pinot noir pour les vins rouges.
·        Le raisin de Corinthe ou raisins secs. Un nom emprunté à cette vieille Cité grecque, l'une des plus riches de l'ancienne Grèce. Cette fois, on en vient aux grappillons. Le raisin de Corinthe est plus connu sous l'appellation familièrement arabe de Z'bib. Ce dernier à très bon goût et est fort apprécié, éparpillé dans les plats de couscous et inondé de lait-caillé ou de petit-lait. Une variété de fruits qui provient des îles Ioniennes et dont la production riche et florissante inonde les Etats méridionaux de la péninsule balkanique et une légère partie de l'Asie Occidentale. On citera la Grèce, la Turquie et la Syrie, plus précisément à Palmyre, une ville qui est à l'heure actuelle le théâtre de violents combats entre l'armée régulière de Béchar-el-Assad et les opposants au régime.
·        Pruneau d'Agen, du nom de cette ville de Bordeaux située au sud-ouest de Paris. Un plat composé essentiellement de prunes, de chasselas, de viandes et de sucre et qui, mijoté à la faveur d'un feu doux, nous donne une saveur fortement sucrée une fois mis le couvert.

CHARABIA : Mélange de propos confus et désordonnés que les espagnols attribuent à la langue arabe.
GRAPPILLON : Ce n'est qu'à la fin des vendanges et au-delà d'un mois, que la grappe de raisin prendra la
forme d'un grappillon qui sera cédé cette fois aux grappilleurs et aux oisillons.

4.       LA FURIE DE GARDEL



Une vieille photo remise par un enfant de Surcouf qui date, croit-on savoir, de l'année 60 ou
61, et qui fut retrouvée quelque part dans l'ex villa de bord de mer des Gardel.
Elle représente François, l'un des fils de Jacques Gardel, ex et dernier maire de Aïn-Taya, qui devait y avoir seize ou dix-sept ans, en cette année. Le voici, posant en grand conquérant, sur les rives de mer de La Pérouse. Il est vrai qu'on n'est pas loin de l'épopée légendaire du film « la fureur de vivre » de James Dean.
Quant à la seconde photo, et que je ne peux publier car privée, elle remonte aux premières années soixante-dix. Elle a été offerte, semble t'il, par Louis Gardel lui-même à un vieil ami de Surcouf décédé il y'a près de cinq ans. Elle représente l'auteur de la baie d'Alger*, dans les rues de Paris, en compagnie d'une martiniquaise, son épouse, me disait-on, et d'un enfant âgé à peine de huit ans environ.
Outre leur bel appartement d'Alger qui donne sur le boulevard du Front de mer, les Gardel possédaient une villa* « pieds dans l'eau » dans ce petit bourg de Surcouf. Le vieux Gardel, médecin spécialiste O.R.L, officier de haut rang dans la marine française, et dernier maire de Aïn-Taya, eut trois enfants prénommés : Louis, François et Dominique, nés* respectivement en 1942/43/44. La famille Gardel possédait un chien nommé Stop et une chienne dénommée Miss. Ils eurent pour voisins les Belinger, le docteur Foissac, les Borgeaud et les Menzer Jacques
Rappelons que le gardiennage de l'ex villa de ce dernier fut assuré par Bournab Hamoud décédé en 1964.
Abordons de près cette famille dont Louis Gardel faisait quelque peu allusion dans son livre « La baie d'Alger ».
M ... dit B ... s'adonna en ce mois de juin de l'année 1964 à l'élagage d'un arbre, à l'intérieur de l'ex propriété des Ricci. Il s'efforça d'arracher les branches, au moyen d'une corde fortement nouée, autour de celles-ci. Suite aux efforts répétés de ce dernier, une branche céda violemment et emporta dans la volée M… qui, gagné par l'élan impétueux de son geste, tomba à la renverse, raide mort. Il sera victime d'un traumatisme crânien. Aussitôt informés, les médecins militaires français, dont le cantonnement se trouvait derrière l'ex parc des Ricci, ne purent que constater le décès, compte tenu de la gravité de l'acte.
C'est lui, le vieux pêcheur qui conseilla à Louis Gardel de ne pas y aller au bal donné sur la placette de Aïn-Taya. M ... dit B… eut deux enfants prénommés A … et O…. L’aîné A… né en 1936 regagna le maquis en 59 ou 60, après avoir servi comme officier dans les rangs de l'armée française. Il émigra en France en 64, où il eut à gérer un débit de boissons dans la région parisienne. Quant au cadet, né en 1942 et prénommé O… plus connu sous l'appellation familière de O ...Kh ... . il rejoint lui aussi le maquis, dans la même année, à quelques mois d’intervalle, que le précédent. … Serein et plein de vie, O ... Kh… demeure toujours en vie.
Notons que le gardien de l'ex villa des Gardel s'appelle OB ... plus connu sous le sobriquet de OK ... Il sera affecté, peu-après l'indépendance, au service communal de la voirie de Surcouf. Il décéda en 2010 à l'âge de 83 ans et est inhumé au cimetière des …
Les Gardel eurent également une femme de ménage, bonne à tout faire, nommée Z… qui décéda en 1964 à l'âge de 64 ans.

LUMIÈRE SUR LE TÉLÉ-FILM « LA BAIE D'ALGER » : Des acteurs inexpérimentés, venus pour la première fois, face à un scénario de bonne qualité. Des pannes … des moments d'inertie, des replis désordonnés … Une production du genre coq-à-l'âne qui aurait pu égaler par le thème excellent du scénario le film américain « Un été 42 », si elle était confiée à un réalisateur de talent. Des non-dits, des zones d'ombre subsistent dans ce télé-film qui n'a pas encore livré tous ses secrets. Il est vrai cependant, que les plaies n'étant pas cicatrisées et qu'il est plus sage de ne laisser apparaître aucun détail troublant pouvant prêter à confusion ou de donner à certains l'occasion de pointer du doigt certaines familles dont les descendants sont encore en vie.

VILLA : Ce beau cabanon en bois peint en vert, propriété des Gardel qui faisait face à l'ex pavillon de
charme de cette même famille, a totalement disparu laissant place à un amas de dune.
*NÉS : ces trois dates de naissance ne sont pas forcément exactes.

5.     LES FEUX DE LA PASSION

A quelques encablures des rivages de bord de mer de ce charmant village de Surcouf. À l'intérieur de ce bel et immense parc boisé repose, au milieu de l'ex propriété des Ricci* et des Benejean, un petit pavillon de charme. Un bel environnement privilégié, cadre et village, où l'odeur ivre des essences séculaires continuent de troubler le calme d'une nature religieuse. Jadis, authentique écrin de verdure où subsiste, à ce jour, la douceur de vivre d'antan. C'est ici, dans ce merveilleux jardin*-labo ... à la suédoise que le professeur Sergent, éminent chercheur naturaliste et membre influent à l'Institut Pasteur s'adonnait souvent, tôt le matin et tard le soir, à des travaux de recherche et d'expérimentation sur la vie des plantes, des insectes et de la flore …Sentant venir l'indépendance du pays, Mr Sergent passera plus d'une semaine à brûler tous ses livres (manuscrits, ouvrages, documentations, brochures …). Un énorme gâchis, un patrimoine inestimable partis en fumée, qu'il aurait pu léguer, me dit-on à l'Eglise, à l'Institut Pasteur, à l'Institut culturel français ou à la Bibliothèque nationale.
Cet homme de sciences qui résidait* de l'autre côté de la chaussée (voir photo la place du village – Arrêt sur image) déplorait amèrement que les enfants de Aïn-Taya n'aient pas eu le privilège d'y aller à l'école.

RICCI : L'auteur eut à évoquer dans ses précédents recueils le lien de sang étroit qui unit les Ricci, une
vieille famille française aux origines italiennes et grosse fabricant de pâtes alimentaires et de couscousserie à
Blida et à  Maison-Carrée, à cette grande dame qu'est Nina Ricci, reine de la haute couture parisienne et
de la parfumerie mondiale.
JARDIN-LABO: Véritable champ d'expérience et bel endroit, aujourd'hui désaffecté, qui sera attribué à
deux médecins, l'un spécialiste en dermatologie et l'autre en chirurgie maxillo-faciale.
DIT-ON : Nul au monde ne peut connaître la passion douloureuse qui animait ces gens-là, en ce temps là. Il
faut vivre et revivre cette époque pour y pouvoir apporter un jugement. « Il n'y a point d'os dans la
langue » disait un vieux proverbe arabe. Un os qui viendra mettre fin à toute les insanités et empêcher
chacun de parler en toute impunité.
RESIDAIT : Une très belle propriété de maître qui sera cédée au tout début des années 60, à un ex ...

6.     R …. LE SANS FAMILLE

Un "sans famille"  comme disait Hector Malot, venu très tôt à Alger, à 8 ans disait-on, et qui se vit confronté, dès son jeune âge, aux premiers rudiments de la langue verte du marché Les Halles. R…. venait de trouver ce jour-là, et à son grand bonheur, son petit monde colonial, qu’il tissera tout comme les mailles d’un filet de pêche. Un lien qui l’aidera plus tard à devenir un homme. La seule présence de cette grande et petite famille l’excitait, le ranimait, lui mettait de la joie au cœur.
Un merveilleux Père Noël, généreux, plein de vie et de bonté, au cœur pur et blanc, aussi blanc que l’est la barbe du Père Noël. Un ange vagabond qui aimait les rires et les cris des petits-enfants qu’il faisait accourir de partout, pour leur offrir des bonbons, dont il en avait plein les poches. R…. C’est aussi cette vieille gondole chargée de vieux souvenirs mémorables qu’il ne laissera pas tomber, et qu’il hissera sur ses épaules tout au long de sa vie. Il n’y croyait ni à la libération, ni aux hommes d’après. D’ailleurs, il n’y avait guère prêté attention aux premiers feux de la Toussaint. R…. y avait connu ses heures de félicité. Un bonheur qu’il croyait éternel et qui allait lui être arraché des mains, un jour. L’important pour lui, c’est d’être heureux auprès des siens, de ceux qui sauront le comprendre et afficher les mêmes convictions que lui. Et ça, c’était son bonheur à lui. Un bonheur qu’il croyait indestructible.
R…. avait gagné la sympathie des uns et des autres. Ceux de sa génération et ceux d’après. Il en est sorti victorieux.
Vieille mémoire des années 60.

R…. LE VICTORIEUX -I-

 Le béret basque joliment ajusté sur le front, comme pour y répondre présent à l’appel de la première heure. Le costume croisé, pimpant neuf, quelquefois noir, quelquefois bleu, mais toujours prêt à épouser les aspérités du corps de ce grand gaillard. R*arborait et fièrement et à chaque fois, le look des anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale. Ce jour-là, il exhaltait, et à sa manière, la pure tendresse des vieux jours, comme pour marquer, et pour la énième fois, l’éternelle reconnaissance au bon vieux temps.
Tiens, c’est le dernier vestige de la France qui passe, disait-on tout bas, comme pour le pointer du doigt. R … savait qu’il était taxé de vieux renégat, de vieux résidu de la France et il en était fier. Il souriait même sous-cape. Une meilleure façon pour lui de narguer ces esprits cornus et tordus, à qui il fera encore grincer des dents. D’ailleurs, il connaît le mouvement caméléon de certains de ses concitoyens, ces purs mesquins, oubliés par les hommes sains et reniés par les esprits saints.

RACONTE-MOI TONTON R…. -II-

 Le visage toujours bien rasé, souvent marqué par des traces de rougeurs, laissées par un rasoir fortement aiguisé. Le physique bellement façonné par la rigueur du temps et ravi d’y retrouver le charme et la sérénité des vieux jours. La moustache épaisse rognée à ses deux bouts, évoque Pétain au sommet de sa gloire. Chut ! C’est R… qui arrive et qui promène son style légendaire de barbeau. Cette fois, des voix s’élèvent et s’apaisent et tentent de ramener l'ambiance.
« Tiens, voici R … qui arrive … » lançait-on du fond de la salle comme pour l’inviter à les rejoindre et à fêter l’évènement du soir.
C’est ici, à l’intérieur de ce bar nommé l’Atlas*, humble bistro des vieilles solitudes, vieux refuge des âmes égarées, sombre épave des nobles contestataires de la Toussaint, que l’on retrouve R… . C’est ici, qu’il a élu domicile, et c’est ici qu’il ira retrouver les siens, ses vieux compagnons de toujours et des vieux jours. Une grande petite maison, où la chaleur du cœur n’existe nulle part ailleurs, où la générosité de l’âme y est grande et où l’humour y est bon enfant. C’est ici, que les langues se délient, que les rires fusent au loin, que les voix s’amplifient, que les congratulations se multiplient. Et c’est ici, que les poignées de main se nouent et se serrent à chaque fois plus forts, et à la manière d’un bras de fer. Et c’est ici que R … ira se frotter aux siens, ravis de l’entendre évoquer ses exploits de naguère, et toujours prêts à lui tendre l’oreille et à lui serrer la main. Et c’est ici, qu’il préfère perpétuer son amour pour la France et tonner ardemment et allégrement son baroud d’honneur. Lui, un ancien cheminot des chemins de fer algériens et des Tabacs et Allumettes en sait beaucoup de choses, trop même…
Il en connaît des choses, tonton R …  Il en connaît …

L’OMBRE BIGEARDIENNE –III-

R … empruntait souvent les marches de l’escalier qui mènent au bar l’Atlas. Il s’arrête à hauteur de la porte d’entrée et jette un coup d’œil à gauche, puis à droite. Une nouvelle fois, les regards changent de cible et convergent vers l’entrée. C’est décidé, il s’engage d’un pas ferme et souverain vers le fond de la salle. Une voix forte crépite au loin …
« Un verre de rouge, et que ça bouge » lança t’il au barman, à peine assis, comme pour éveiller chez certains, la présence furtive des carnassiers, l’effroi funèbre des vieux loups, l’âme lugubre des carnivores, comme pour faire entendre la passion féroce des grands moments, la résonance sinistre des vieux et des beaux jours …
Il tapait souvent du pied sur le sol, battait des mains, claquait dans les doigts comme pour vouloir susciter l’écho funeste de l’instant, comme pour ressusciter l’effroi téméraire de l’ombre bigeard(o) toujours présente en lui et dans les esprits. Une vieille habitude et de vieux réflexes auxquels il n’y pouvait rien hérités du temps où R… côtoyait les vieux loups des bois. « C’est dans le sang » dira t-il à ses amis.
Cette fois, il resta un long moment à regarder ce verre qui semble le taquiner, lui tenir tête, et qu’il prend plaisir à vider à chaque fois d’un trait comme pour lui dire, « petit, des comme toi, j’en ai ingurgités, ou raconte-moi ton histoire, à toi … ».
Son histoire à lui, est celle du temps où R… avait pour amis,  B..., L..., P..., ces lieutenants parachutistes avec lesquels il prenait souvent quelques verres d’alcool dans ces merveilleux bars d’Alger. Des noms, comme tant d'autres, qu'il n'est pas prêt d'oublier et qu'il évoquera avec humour et regrets. De vieux compagnons et des moments de grande évasion, qu'ils sauront partager et apprécier ensemble, dira t'il. Et c'est dans les brasseries huppées de la rue Weiss  et du boulevard Colonna d'Ornano, les quartiers les plus réputés à l'époque, que ces derniers préfèrent se retrouver et créer l'ambiance du soir, autour d'un repas bien arrosé. Lui, un familier du coin, n'est nullement impressionné par ce beau monde et ce vieil Alger qu'il a connus au tout début du siècle passé. C'est ici, qu'il y fera timidement ses premiers pas. D'abord. Il commencera par aider des messieurs-dames à leur porter le couffin, ensuite à acheminer des cageots de vin sur un diable vers les fameuses voûtes du Front de Mer  et à embarquer des cargaisons de vin vers l'Europe et l'Afrique Occidentale. Il n'avait pas encore quinze ans, s'empressa t'il de rajouter tout fier, et de citer les grandes marques de la notoriété des vins : les Cinzano, les Perez, les B.G.A, les Montserrat, les Lung Frédéric… Des noms qui ont perdu leur prestige avec la fin de l'Algérie française. Une clique qui disparaît et avec elle un pan de l'histoire coloniale, confie t'il à ses nouveaux amis de tablée. Un jour où tout s'est écroulé. Un jour où le glas a sonné pour R… .

NOUS, LES ENFANTS DU PRINCE DE POLIGNAC ....3

R … LE BADEN POWELL –IV-

L’odyssée de R … ne s’arrête pas là. Il évoquera quelquefois avec ses amis de beuverie ses belles randonnées pédestres qu’il eut à parcourir longuement à travers les vieilles montagnes ensoleillées de la Chiffa et les vertes prairies de Mouzaïa, ex Germain, de Saoula, de Castiglione, en compagnie du personnel de la Maison Bata, du journal Le Figaro, et des grandes maisons de vins. Une belle romance qui remonte vers la fin des années 30 et qu’il n’est pas prêt d’oublier, dira t’il à ses amis. C’est la naissance des premiers congés payés et R … fut l’un des tout premiers musulmans à rallier le mouvement des vacanciers et à succomber au charme du bivouac et des auberges de campagne. Sollicité par les pionniers du social à l’époque, R … fut tout content d’offrir ses bonnes œuvres d’éclaireur à la manière d’un parfait anglo-saxon. Et c’est à lui que revient l’honneur de fixer le choix du terrain, de dresser les tentes, de veiller à l’approvisionnement des vivres conservés dans de petits voitures-fourgons frigorifiques, d’accompagner la préposée aux postes pour l’envoi de cartes-postales, d’assister l’infirmière dans les premiers soins, d’allumer et d’éteindre le moment venu le feu du bûcher et surtout d’y veiller la nuit tombée aux incursions afin d’empêcher le "loup" de quitter sa tanière et de s’introduire dans la bergerie.

BERGERIE : C’est dire que ceux qui s’entendent parfaitement le jour, se recherchent mutuellement le soir pour se retrouver souvent sous une même tente ou un même logis, la nuit tombée. Et  R … est là pour veiller et maintenir la cohésion du groupe dira t-il. Comme pour plaisanter, ses vieux amis lui lançaient cette vieille boutade. « Le loup, c’est toi R … et c’est toi qu’il faut craindre ». Cette fois, R… n’arrête pas de glousser, et de dire, "c’est faux, c’est faux".


R … L’ANGE VAGABOND –V-


R… se rendait souvent à la forêt Messoussi pour y poser des pièges à lapins, à grives, pour y cultiver sa passion d’artisan vannier, pour se remémorer ces belles journées de pique-niques passées en compagnie de ses meilleurs amis, mais surtout pour se rafraîchir cette vieille mémoire qu’il n’aimerait pas lâcher pour tout l’or du monde. Histoire de se voir replonger dans le bon vieux temps. Ce jour-là, il s’en allait joyeusement en sifflotant, une musette jetée sur l’épaule, une bouteille de rouge – vieille amie de toujours et des beaux jours – dissimulée quelque part … Allez savoir où ? Une rame de roseaux sous le bras et quelques brindilles de figuiers ramassées, par-ci, par-là, feront comme toujours l’affaire. Il aimait s’entourer de ce vieil arsenal qu’il découpait au coutelas, entrelaçait et tressait à la main pour y confectionner des paniers* en osier, à pains, à brioches, et des corbeilles à fleurs. De petites merveilles qui seront exposées et revendues au marché Les Halles de Belcourt et qui iront faire le bonheur des ménages. Il s’asseyait au-dessus de cette monticule de terre, à quelques pas plus haut de l’hôpital psychiatrique Drid Hocine, pour y voir le bris des vagues des Sablettes qui iront se fracasser sur les rochers et l’arracher à ses rêves, et à son passé de grand maitre. Tard le soir, à sa descente des bois, il nous remettait souvent, à nous autres bambins, de petites tranches de biscottes, de biscuits, de pain d’épices et de légères barres de chocolats, menus fretins d’un petit repas, à demi-consommé. Quelquefois, il tirait sur le cordon de la musette, exhibant ses gros bras velus et ses mains rugueuses pour nous montrer le petit trophée de la journée. On y voyait un ou deux lièvres, parfois une caille ou une perdrix étalées de tout leur long, raides morts. Un gros gibier, dont il en fera un véritable régal entre amis, le soir venu.


R … LE TOMBEUR DE CES DAMES –VI-

Elles furent nombreuses ces dames, à solliciter en ces jours de repos, ses services de travaux d’entretien, de jardinage, de peinture, de bricolage, de lampisterie, de fumisterie, et de ramonage ... qu’il exécutait avec soins et amour. Aussitôt terminés, on l’invitait à chaque fois à prendre un thé, un café ou un léger apéritif. Une meilleure façon de le remettre sur les rails auquelle il ne pouvait y échapper. C'est aussi une sacrée combine qui permettra à ses hôtes féminins d’y bavarder et de le fixer droit dans les yeux. Cette fois, il ne vous dira jamais, lui qui a un faible pour les nanas de La Régie, du Mont-Fleury, du Chemin Vauban, de La Cité … comment il a réussi à épingler M... , L… et tant d’autres … elles étaient consentantes, tout de même, avoue t’il à ses amis. « Non ! Non ! C’est trop intime » dira t’il aux plus jeunes. « Ça, c’est fait pour les grands » lança t’il à ces polissons avec un sourire qui en dit long. Et c’est dans ce beau quartier du Mont-Fleury qu’il « prendra son pied » et qu’il y laissera planer sa patte de velours, auprès de celles qui le lui rendaient si bien, disait-on. Cette fois, il souriait lorsqu'il évoquait entre amis le tour de "l’escabeau*", ou celui de la "queue leu leu**" ou encore celui du "train-train*".
Des noms bien originaux, dont lui seul connaît le secret.

*  **  *: « Une connotation saine et pure enveloppe ces termes qui sont loin d’être immoraux. »

R … L’ANGE-GARDIEN –VII-

En 1968, lorsqu’il s’était rendu à Marseille, c’était pour revoir ses amis, mais surtout pour vomir le purgatoire. On venait le voir de « partout » pour l’entendre égrener la suite d’un récit brutalement interrompu. « Mais, ce n’est pas possible, c’est toi R… Que tu as changé ! Tu es toujours aussi grand et aussi fort », lui disait-on. On l’invitait chez soi. On prenait soin d’écouter parler, l’oreille tendue et les yeux rieurs, celui qu’on avait laissé ici pour protéger et veiller sur les plates-bandes encore fraîches de chacun. Ce jour-là, R …s’était libéré de cette dure étreinte qui l’étouffait et auquelle il ne pouvait y résister. R… souriait, blaguait, s’esclaffait, jusqu’à montrer la blancheur de ses dents, mais ne se confiait à personne, à l’exception de quelques amis. Des amis d’enfance et de longue date qui sauront partager les mêmes idéaux, les mêmes convictions que lui, et qu’il connaissait sur le bout des doigts.
« Tout le monde » le connaît et il connaît tout le monde. Sacré R …
« Nous sommes encore dans les années 60, les moyens de communication, mis à part le téléphone et le courrier n’arrangent rien. Les frais de transport s’avèrent coûteux. L’Algérie, toute proche, semble lointaine. On n'ose pas en parler. On n’y songe même pas, tellement les déchirures sont profondes. Le travail de réparation pour une meilleure intégration se fait mal. Le coup est brutal. On ne cherche rien, on ne veut rien. On cherche uniquement à se caser. Que les saints soient avec nous.

R … ET LES SANGLOTS LONGS D’UN ÉTÉ 62 –VIII-

La plus grande erreur de sa vie, disait-on, c’est d’avoir assisté au grand départ, d’avoir été le témoin impuissant de ce qui n’était pour lui « qu’un Ô revoir mes frères ». Nul ne pouvait ressentir l’amère douleur qui l’étouffait ce jour-là et qu’il ressentait durement. Une partie de sa vie s’en est allée en ce moment-là. Il nous a quittés lui aussi … il avait chaudement pleuré … et il continue toujours de pleurer, même dans l’au-delà. R … fut le templier de la France au Ruisseau et le Ruisseau fut sa chasse gardée. Si R …avait continué son bout de chemin, il aurait certainement crié haut et fort son désarroi : « rendez-moi ma France ».
R … nous a quittés au tout début des années 90, partagé entre l’amour aveugle qu’il vouait à l’avant 62 et l’amertume profonde qu’il portait aux hommes et aux années de l’après 62. Un chagrin amer qu’il finira par noyer dans l’abus quelque peu immodéré de l’alcool. Le vin rouge étant sa préférence.
Tiens aujourd’hui, c’est son jour de fête. Il ira se coiffer les minces tiges de cheveux qui lui restent encore sur la tête chez son ami et confident de toujours. Vous l’aviez reconnu. C’est M … , le figaro de ces messieurs-dames. Deux têtes sous un même bonnet. Cette fois R… aura à se débarrasser de son béret basque qu’il posera allégrement sur ses genoux, à la manière des paras de Massu.
Mais, il y’a d’autres R …, d’autres Petit M …, d’autres K …. d’autres D ..., d’autres M … au Ruisseau et ailleurs.
(Une grande partie de ce récit est conçu avec le précieux concours des vieux amis, encore en vie de R …)
R….  : Un terme arabe attribué quelquefois comme patronyme. Il désigne quelqu’un de gagnant, de victorieux, envers qui et pour qui le sort y est favorable. On l’emploie également pour marquer un évènement heureux ou chanceux. Selon la croyance populaire, lorsqu’un accouchement est endeuillé par la perte d’un nouveau-né, le prochain survivant portera le prénom de R …, synonyme d’une vie meilleure et présage à un bel avenir.
ATLAS : Un vieux repaire de tristes naufragés d’une vie ingrate. On y servait en ce lieu des vins et des liqueurs accompagnés quelquefois de plats de sardines toutes chaudes, des crevettes, des écrevisses, des olives, des cacahuètes, de petites tranches d’épinards, de la variante, des cornichons, de petits morceaux de fromages rouges, de gruyères, de camemberts, ou de fromages ordinaires.
PANIERS EN OSIER : Elles feront le bonheur de ces dames et de la ménagère, portés tels un sac à main, ou exposés sur les rayons de pâtisserie, sur les comptoirs, ou derrière les devantures des boulangeries.
MARSEILLE : De l’aveu même de R … qui s’était confié ce jour-là, à des amis, à son retour de Marseille. R…  se trouvait non loin de la gargote de Khiar au milieu de son petit et grand monde ruisséen, dont je faisais partie. C’était en 68. J’avais quinze ans.


7.       POUR LE MEILLEUR ET POUR LE PIRE
Ou les merveilleux récits de Alitoum

Aujourd'hui, c'est jour de kermesse. C'est la joie et l'allégresse. On y danse tout en liesse.
On raconte qu'André, le fils du charcutier, vient tout juste de déserter l'armée.
Il se trouve dans les parages, non loin du village, à l'ombre d'un feuillage.
Rosette qui n'en fait qu'à sa tête semble avoir perdu la tête. Elle quitte aussitôt la fête.
Elle laisse tomber son cavalier et court rejoindre André  son bien-aimé, un fou à lier.
Elle enfourche sa bicyclette et part à la rencontre de ce trouble-fête.
Ce dernier l'attend, couché dans les près à l'ombre d'un peuplier.
La voici enfin, en tête à tête avec celui que l'on surnomme la bête.
On dit qu'il aurait menacé avec une cognée monsieur le curé.
Tout simplement parce que ce dernier n'a pas voulu les sceller pour l'éternité.
"Pourquoi nous punir au lieu de nous unir pour le meilleur et pour le pire.
"Je continuerai toujours à sévir et sans vous prévenir"
"Attendez-vous au pire dans les jours à venir" lui a-t-il lancé, et toujours selon les dires
"Mais c'est encore une enfant" confient en larmes les parents aux gendarmes.
On dit qu'il l'aurait engrossée et qu'elle attend, parait-il, un bébé.
Et encore, il est tout fier, racontent les mémères l'air hébété 
Les parents qui craignent un drame ont vite fait de donner l'alarme
Cette fois, monsieur le juge vient de lancer un mandat d'amener à l'encontre de ce forcené
Cela fait bientôt une semaine que la maréchaussée lui court après pour tenter de le rattraper.
On dit que ce bon à rien qui mène une vie de vaurien a été vu en compagnie d'un chien
Traquant le sanglier et chassant l'épervier à l'orée d'un massif forestier.
Et voilà, on vient d'apprendre qu'il serait tombé dans une embuscade tendue tout près de la rocade  
Ce jour-là, armé d'un pistolet, il tentait de se démener mais fut vite maîtrisé par des gendarmes armés.

Selon une idée de Alitoum

8.       LES PETITS PAS DE Mr POUPENET

Aujourd'hui, est samedi. Il est près de 14h00. Mr Poupenet, professeur de français au collège La Corderie du Ruisseau ne donne pas cours cet après-midi. Il en profite, et en grand homme, pour faire une tournée dans la ville, et c'est au bar l'Atlas qu'il compte s'y rendre. Il emprunte comme souvent cette longue et belle allée de La Cité. Affable et de bonnes convenances, il salue sur son passage ces messieurs qu'il connaît peu ou pas. D'habitude, c'est une serviette de couleur noire qu'il promène soigneusement sous le bras, lorsqu'il aura à franchir la porte de l'ex école La Corderie. Ce jour-là, c'est une chemise de couleur rouge bourrée de copies qu'il porte sous le bras et dont il a du mal à s'en séparer. On dit qu'elle renferme les épreuves écrites des examens. Et ça, il y tient beaucoup. Quelques-uns de ses élèves regroupés avec d'autres amis à l'angle de l'ex pharmacie Saligny se dérobent à ses yeux pour ne pas à être reconnus et ne pas à avoir à s'expliquer les jours suivants sur un devoir mal appris. Ils réapparaissent aussitôt, le temps de le voir disparaître. D'un pas lourd et assuré, Mr Poupenet aborde les marches de l'escalier du bar l'Atlas, pénètre à l'intérieur, s'assied sur une chaise, et se fait servir une bière bien glacée. Il ne s'attardera point ici. Juste le temps de se rincer le gosier.

Vieille mémoire des années 60.

Des élèves éjectés de l'école La Corderie furent repêchés, au grand bonheur de la nation, par Mr Poupenet qui en fit par la suite de brillants sujets à la tête  aujourd'hui des plus hautes institutions de l'Etat.


9.     LES VOIX D'OUTRE-TOMBE
Octobre 2006

Les restes mortels de Pierre Savorgnan de Brazza, ce grand explorateur français, inhumé au cimetière Bru du Golf, en 1905, ont été exhumés à la demande du gouvernement congolais, pour y être transférés à bord d'un avion spécial à destination de l'ex Congo-Brazzaville. L'exhumation des ossements a été faite en présence de plusieurs personnalités du corps diplomatique des pays concernés. Il est à signaler la présence du premier ministre congolais, du personnel de l'ambassade du Congo accrédité à Alger, des membres du consulat de France à Alger, des suites de la branche française et italienne ainsi que des représentants de la présidence d'El Mouradia. Notons que la femme et les deux enfants de Pierre Savorgnan de Brazza qui reposait dans le même caveau familial, y firent également partie du convoi funèbre. Une stèle commémorative a été érigée en son honneur, à titre posthume, sur le sol congolais et une cérémonie grandiose fut célébrée le jour même pour marquer le retour de ses cendres et leur ré-inhumation en terre congolaise.
Une reconnaissance qui vient à point et qui illustre grandement le centenaire de la mort de cet explorateur français qui eut à explorer et à pacifier ce pays, sans que ne soit tiré un seul coup de feu, et surtout à y affronter et à s'exposer à toutes les maladies exotiques et prolifiques en cette partie de l’Afrique. Maria, la femme de David Livingstone  y décéda de la malaria.
Une exploration qui n'en finit pas. Même dans l'au-delà, il continue toujours de promener son bâton de pèlerin et de prêcher la bonne parole.
L'auteur eut à relater dans ses précédents recueils, au premier mois qui suit l’événement, l'exhumation des restes de Pierre Savorgnan de Brazza et son rapatriement vers le Congo, son pays d'adoption.


10.     PIERRE MAUROY DECOUVRE ALGER
Année 1984-1985
Un look qui n'a rien à envier à celui d'un lord magistrat britannique. Une carrure athlétique qui ressemble en beaucoup, à celle d'un rugbyman écossais. Le pas ferme et décidé comme pour se rendre à un endroit précis. Les mains qui vont et qui viennent et qui s'attachent à se donner plus d'assurance, Pierre Mauroy, entouré de ses proches collaborateurs, semblait plutôt se soucier des prochaines perspectives que par la beauté de ce vieil Alger et de tout ce qui l'entoure. Ce jour-là, drapé dans un beau costume croisé, de couleur bleu-pétrole, Pierre Mauroy, arpentait en grand homme la rue Larbi ben M'hidi ex rue d'Isly. Cette fois il est tout près de la Grande Poste. Une surveillance policière discrète assurait au loin sa sécurité. Elle l'accompagnait fidèlement dans tous ses déplacements.